Entretien avec Rémi Chaussod
Quel intérêt ont les analyses biologiques du sol ?
Cela fait une quarantaine d’années que Rémi Chaussod s’intéresse à la vie microbienne dans les sols. Pourtant, après une thèse de doctorat sur les algues marines, il n’y était pas vraiment prédestiné… Un heureux concours de circonstances le fait entrer à l’INRA en 1976 où il devient Directeur de Recherche et crée l’équipe « Qualité des Sols » en 1996. Encore aujourd’hui, alors qu’il est en retraite depuis 2012, il prolonge ses travaux en faisant un pont entre la recherche et l’application concrète de son savoir. C’est en qualité d’expert de la spin-off universitaire SEMSE qu’il intervient à plusieurs reprises aux évènements COMIFER/GEMAS (en 2013, 2015 et 2019), sachant qu’il y participait déjà en tant que chercheur depuis 1993.
Depuis les années 80, le chercheur Rémi Chaussod s’est attelé à identifier les méthodes permettant de caractériser le microbiote du sol (cf. article). Dès le début des années 2000, il a entamé leur vulgarisation en les publiant dans diverses revues professionnelles.
Dans le même temps, il devient rapidement évident que pour l’agronomie ce n’est pas seulement la masse totale de matière organique qui importe, mais aussi et peut-être surtout la fraction vivante et la fraction labile de cette matière organique.
Sur ces bases, Rémi Chaussod et son équipe testent et mettent au point des mesures et de nombreux indicateurs qui témoignent soit de la quantité de la biomasse (typiquement 1 à 3% de la matière organique totale), soit de populations particulières (comme les champignons mycorhiziens qui forment une symbiose avec les racines de la plupart des plantes), soit des fonctions ou activités (la respiration du carbone, la minéralisation d’azote, des activités enzymatiques, etc…).
Mais on est hélas encore loin de l’application directe au terrain pour conseiller un agriculteur. La difficulté principale est que les valeurs de tous ces indicateurs sont principalement déterminées (a) par la nature du sol (physiques comme la texture et chimiques comme le pH ou le taux de carbone), (b) par le système de culture (par exemple, une pâture avec des entrées organiques a typiquement une biomasse plus élevée qu’un champ cultivé), (c) par les conditions climatiques et enfin (d) par les pratiques culturales.
A ce stade, ces méthodes peuvent donc servir pour obtenir une meilleure compréhension des phénomènes dans le cadre d’essais agronomiques. Elles permettent de comparer l’effet de différents traitements, de différentes pratiques culturales sur une même parcelle, réputée homogène pour les autres facteurs influençant les mesures biologiques.
Pour utiliser ces mesures en routine sur les parcelles des agriculteurs, il est nécessaire de constituer un référentiel. C’est ce qui occupe Rémi Chaussod aujourd’hui et encore pour quelques années. Ces travaux, menés le plus souvent au travers de partenariats publics-privés, ne s’intègrent pas toujours dans le champ strict de la recherche.
Pour Rémi Chaussod, la création avec sa compagne et collègue Rachida Nouaïm de SEMSE, d’abord sous le statut associatif puis sous la forme d’une entreprise d’études et de conseil doit répondre à ce besoin.
Actuellement, le plus gros du travail du SEMSE consiste à réaliser des études pour différentes structures telles que des Chambres d’Agriculture, des Organisations Professionnelles, des associations d’agriculteurs. Le SEMSE intervient pour le choix des paramètres à mesurer, la réalisation des mesures biologiques, l’interprétation des résultats.
L’intérêt de la profession agricole pour la qualité biologique des sols s’est considérablement renforcé dans les années 2000, aussi bien de la part du monde de l’Agriculture Biologique (collaboration avec l’ITAB) que de l’agriculture conventionnelle (surtout du monde viticole : d’abord Champagne, puis Bourgogne, Beaujolais, etc…). Pour faire court, les premiers, certains d’en tirer des bénéfices techniques, voulaient mieux comprendre et optimiser les facteurs biologiques de la production, alors que les seconds étaient plus interpellés par les conséquences après des applications toujours plus nombreuses de pesticides. Force est de constater que sans pesticide aucun, la production de vin ne serait pas économiquement viable, voire impossible, y compris en Agriculture Biologique.
D’où la tendance vers une agriculture raisonnée et raisonnable. Et ces travaux ont conduit à des découvertes parfois inattendues voire contre-intuitives.
Pour l’exemple, on peut en citer deux :
En conclusion, ce travail sur la qualité biologique des sols est d’actualité dans le contexte présent de l’agronomie. Après des décennies de travail, plusieurs mesures pertinentes, fiables et interprétables ont été sélectionnées (cf. document).
Par contre, le sujet reste complexe et il faudra des personnes qualifiées pour le choix des analyses, l’échantillonnage, l’interprétation et la communication des résultats auprès des utilisateurs finaux. Ceci pourrait typiquement être le rôle du conseiller technique d’une Chambre d’Agriculture ou de l’agronome d’un laboratoire d’analyse de sol.
Les analyses biologiques ont vocation à compléter les analyses physico-chimiques et non à s’y substituer. L’enjeu, pour les laboratoires d‘analyse du sol, c’est d’ajouter à leur catalogue des mesures biologiques qui soient à la fois pertinentes au plan agronomique, fiables, interprétables, et d’un coût abordable.